Lever les verrous technologiques et administratifs
Selon l’International Federation of Robotics, l’agriculture devrait être le deuxième marché de la robotique de service vers 2025. Un peu partout dans le monde (Etats-Unis, Australie, Nouvelle Zélande, Israël, Japon, Allemagne, Danemark ou encore Pays-Bas) fleurissent des projets qui mobilisent partenaires publics et privés. C’est ainsi que la société allemande Raussendorf a conçu un robot de pulvérisation nommé Cäsar en partenariat avec l’Université de Dresde qui fait ses premiers pas sur le marché. La start-up américaine Abundant Robotics Inc et la société israélienne FFRobotics annoncent une commercialisation de leurs robots de cueillette des fruits dès 2018.
La France n’est pas en reste. « Notre pays dispose d’atouts indéniables pour entrer dans la course internationale, estime Alain Savary, directeur général d’Axema, l’union des industriels de l’agroéquipement. Il s’agit d’un tissu d’entreprises innovantes, de laboratoires de recherche en robotique d’excellent niveau et de dispositifs de soutien de l’innovation. Pour faire partie du « peloton de tête » dans cette compétition, il est nécessaire de créer une synergie à l’échelle nationale avec l’aide financière de l’Etat ».
La robotique est l’un des neufs axes prioritaires du rapport « Agriculture Innovation 2025 » pour permettre à l’agriculture de relever le défi alimentaire et écologique (2). C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet RobAgri, lancé début 2017 par Axema et Irstea (Institut National de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture), qui vise à accélérer la robotisation de l’agriculture dans l’Hexagone en en levant tous les verrous technologiques et administratifs. L'enjeu est également de faire émerger en France une nouvelle filière industrielle créatrice d'emploi. « Le regroupement de moyens et d’intelligences permet de réaliser collectivement ce que bien peu pourraient réaliser seuls », souligne Alain Savary.
Flottes d’engins de taille moyenne

Les chercheurs d’Irstea explorent une voie avant-gardiste : remplacer les lourdes machines agricoles actuelles par des flottes d'engins de taille moyenne évoluant en convoi autonome. Photo Irstea
En attendant les retombées des recherches menées dans le cadre de RobAgri, de nombreux projets prennent déjà forme. Suivre une personne en toute autonomie et porter jusqu’à 300 kilos de charge pour la soulager, c’est le défi relevé par Effibot, un robot développé par la start-up Effidence en collaboration avec Irstea et l’Institut Pascal. Grâce à son système de navigation autonome baptisé EffiNAV, ce robot-chariot est capable d’analyser son environnement (détection des jambes de son utilisateur, localisation des plans de vignes,…), et de porter les récoltes en évitant tous les obstacles, y compris dans des zones difficiles. Le chariot est plein ? Une simple pression sur un bouton lui permet de revenir en bout de rang ou de parcelle pour être déchargé. De quoi soulager maraichers et viticulteurs qui portent parfois jusqu’à 70 kilos de charge et leur permettre d’augmenter leur productivité. Une trentaine d'Effibot sont vendus chaque année, preuve de l’intérêt qu’il suscite. Son prix, qui a été divisé par trois depuis son lancement en 2014, avoisine les 10 000 euros.
Avec l’agrandissement des bâtiments avicoles qui atteignent plusieurs milliers de m2, les robots suiveurs trouvent également des applications en aviculture comme celui mis au point par la société Maviho Solutions. Dans ce secteur, des robots sont désormais utilisés pour faire bouger les volailles de chair, favorisant la bonne santé et la prise de poids des dindes, poulets etc. ou évitant que les reproductrices ou poules pondeuses ne pondent au sol. Le modèle Spoutnic de Tribot technologies a été récompensé au dernier Space. Les aviculteurs se déclarent libérés des nombreuses visites quotidiennes, astreignantes et fatigantes, dans les poulaillers.
A Montpellier et à Clermont-Ferrand, les équipes d’Irstea explorent une voie avant-gardiste : remplacer les lourdes machines agricoles actuelles par des flottes d'engins de taille moyenne évoluant en convois autonomes, et qui en combinant leurs efforts, offrent le même rendement de chantier. Sous le contrôle d'un tracteur embarquant l’opérateur, ces engins robotisés peuvent dialoguer en permanence entre eux pour se coordonner en fonction du terrain, des éventuels obstacles, etc. « Dans le cadre du projet SafePlatoon, nous avons réalisé un convoi constitué de deux engins robotisés et d'un tracteur piloté par un opérateur », précise Michel Berducat, directeur adjoint du laboratoire des Technologies et Systèmes d'Informations à l'Irstea de Clermont-Ferrand.
Deux visions de la robotique

Le Case IH Autonomus Magnum, grande attraction du salon du machinisme agricole (Sima) 2017 et version extrême du tracteur autonome. Photo Sima
Comme Irstea, Fendt fait également le pari du travail des robots fonctionnant en essaims, estimant que la taille des grosses machines actuelles met les sols en danger (compaction des couches profondes). Pour le prix d’un tracteur classique équipé, le constructeur d’origine bavaroise estime pouvoir offrir 72 minirobots. Chacun de ces mini-robots dispose de sa propre unité de semis et est entraîné électriquement. La communication entre les robots et l’unité logistique se fait par WiFi, au moyen du cloud. Toutes les opérations sont géolocalisées et pilotées par GPS. L’agriculteur se contente de transporter l’unité logistique et superviser le semis. Le faible poids des robots réduit d’autre part l’enjeu sécurité.
Les prochaines années pourraient voir se développer des grappes de ces minirobots, partiellement ou totalement autonomes. Travaillant à l’échelle d’une plante, ils pourront récolter des graines ou des fruits et appliquer des traitements phytosanitaires locaux. « Pour que la mise en œuvre de ces projets soit rapide, il faut optimiser les systèmes robotiques pour l’environnement de production, explique Michel Berducat. Une solution est de co-concevoir le robot et l’agrosystème associé : les champs et l’exploitation seront adaptés à l’activité de robots optimisés pour la réalisation des tâches agricoles définies ».
Une seconde vision de la robotique mise sur les gros tracteurs autonomes, plutôt que des flottilles de mini-tracteurs, proposés par Case IH, d'une part (Case IH Autonomous Magnum), et New Holland, d'autre part (NHDriveTM). Les deux solutions sont très proches l'une de l'autre. Ils sont à considérer non pas simplement comme des tracteurs-robots, mais comme des outils de la robotisation des opérations culturales, des solutions adaptées aux périodes de pointe de travaux, trop courtes pour justifier économiquement l'embauche d’un salarié.
Le tracteur peut prendre des initiatives. Si un opérateur ou une autre machine est détecté, le tracteur s’arrête pour reprendre son travail lorsque le champ est libre. Il est par ailleurs à même d’exploiter le big data pour intervenir aux moments les plus opportuns ou s’arrêter à l’arrivée de la pluie. En attendant le lancement commercial des premiers tracteurs robotisés (à l’horizon 2020, selon les dirigeants de Case IH), des attelages automatiques, connectiques hydrauliques et électriques compris, auront probablement été développés par les tractoristes.
Lequel des deux concepts, des petits robots travaillant en flotte ou de grosses machines nécessitant beaucoup d’énergie qui se guident toutes seules, s’imposera-t-il à l’avenir? « Les deux pourront cohabiter, fait remarque René Autellet, conseiller technologique du Sima, le salon international de la machine agricole. L’agriculteur choisira en fonction de le taille de son exploitation, de ses sols et de ses cultures l’une des deux solutions».